Liberté, j'écris ton nom, en français.

Publié le par Mélanie Sorbets

A l’heure où le débat sur l’apprentissage de la langue française pour les nouveaux arrivants fait des remous, où la question du voile ne cesse d’alimenter les intellectuels, les politiques et les consciences, Lamia Berrada-Berca ouvre une voie. Un champ des possibles où les métissages se confondent et s’entremêlent pour le meilleur mais où l’unique réponse qui s’impose reste, le libre‑arbitre.

Lamia Berrada Berca est l’auteure, nominée pour le Prix de la Francophonie 2012, de Kant et la petite robe rouge, publié en 2012 aux Éditions La Cheminante. La femme, héros principal de l’histoire, y est emprisonnée par une burka et des valeurs séculaires patriarcales. Malgré son regard enfermé par un moucharabieh et l’idée bien ancrée que la Femme n’est que peu de choses, elle nous emmènera avec fougue dans sa quête de liberté. Une liberté qu’elle n’a jamais connue, une liberté qu’on ne lui a jamais apprise, mais qu’elle veut pouvoir apprivoiser comme le cadeau d’un futur meilleur offert à sa fille.

Tout d’abord se libérer par l’apparence : la robe rouge croisée dans une vitrine, qui l’a faite s’éloigner de son trajet habituel de femme au foyer servile pour s’aventurer hors du périmètre « protégé », le bout de la rue, en plein Paris.

Et puis surtout se laisser enfin le droit d’exprimer son envie folle de vouloir comprendre la langue française, comme l’ouverture d’une porte jusqu’alors secrète vers un autre monde. Un monde de savoirs que l’on n’a jamais cru utile de lui inculquer, l’ignorance n’est-elle pas le terreau le plus fertile à la soumission ?

« Quand l’écriture couvre de signes le visage noir du tableau, c’est à peu près comme lorsque le visage de la jeune femme s’éclaire d’un regard ouvert sur le monde en découvrant l’horizon derrière la nuit de son voile.» [1]

Enfin, grâce à l’étroite complicité de sa petite fille scolarisée, pourtant sous surveillance du père hégémonique, et d’un mystérieux inconnu qui lui fera don d’un livre de Kant, elle sortira peu à peu de l’ombre vers la lumière, vers les Lumières.

« Mais qu’est ce que les Lumières ? Lisez. Vous y verrez plus clair. Vous verrez qu’aucun précepte dans le Livre sacré ne dit que vous serez réduite en cendre au Jugement dernier si vous ne portez pas ce vêtement. Aucun précepte religieux ne repose sur un simple bout de tissu. Aucun précepte du livre n’indique que vous serez maudite. » 2

La liberté sera acquise par les mots, la liberté sera acquise par la culture, voilà ce qui lie profondément l’héroïne du roman à Lamia Berrada-Berca, son auteure.

Née en 1970, Lamia Berrada-Berca est le fruit du métissage d’une multitude de pays aux antipodes culturels : la France, L’Écosse, la Suisse, le Canada, l’Italie et le Maroc, arabe et berbère. A travers tous ces héritages, la langue française sera pour elle un fil d’Ariane qu’elle n’aura de cesse de tisser en y entremêlant ses autres cultures, jusqu’à en faire adulte sa profession. Ainsi elle est devenue professeure de lettres modernes après des études à La Sorbonne et, durant toute sa carrière, elle a animé, toujours avec cette même passion du Mot, des projets d’écriture, pour donner l’envie, faire naître la soif et le besoin insatiable de découvertes, tels des oasis au milieu du désert.

L’écriture de ses propres romans deviendra alors un besoin vital, pour celle qui partage, qui aime, qui transmet. « Les livres sont de formidables catalyseurs pour transformer les consciences, forger les esprits » 3 dit-elle.

Avec ce premier roman, elle envisage, décrypte et dénoue les fils de traditions arabes qu’elle a côtoyé de prés. Elle ne juge pas, précisant même qu’elle ne parle pas de femmes qui en ont fait le libre choix de poursuivre la tradition mais de toutes celles qui l’ont acceptée parce qu’elles n’ont jamais appris à la refuser.

Lire ses mots va bien au-delà d’un simple constat sur la condition féminine immigrée traditionaliste. Ses cris de liberté sensibles et tout finesse, comme son cri d’amour pour une langue française qu’elle chérie plus que tous, sont universels et résonnent en chacune de nous.

« Dans le mot «livre», j’entends le mot «libre».» 4 Lamia Berrada-Berca.

En remerciement de l'appréciation formidable sur ce texte de Monsieur Jacques Décourt, formateur au CEC et professeur à l’École de journalisme de Lille.

[1] et 2 Kant et la petite robe rouge, Lamia Berrada-Berca, Ed.La Cheminante

3 et 4 Aujourd'hui le Maroc, Siham Jadraoui, 26 juillet 2012

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